Marcel Jaeger : "Donner un contenu concret au principe de la participation"
"Un constat est largement partagé dans le secteur social et médico-social, mais aussi dans la société en général : les personnes supportent de moins en moins la mainmise sur leur existence, y compris lorsque l’aide qui leur est apportée semble le justifier. Ainsi, l’expression « prise en charge », encore souvent utilisée par les professionnels, pose le problème de la cohérence entre les valeurs dont nous sommes porteurs et la façon dont nous organisons parfois l’accompagnement des personnes en difficulté. Mais comment favoriser l'autonomie, la citoyenneté si les enfants et adultes accompagnés ne sont pas associés de près aux projets qui les concernent ?". Marcel Jaeger, Professeur émérite du Conservatoire National des Arts et Métiers, ancien titulaire de la chaire Travail social et intervention et membre du LISE (Laboratoire Interdisciplinaire pour la Sociologie économique) répond aux questions de Juralliance sur les opportunités à saisir et les freins à lever pour donner un contenu concret au principe de la participation.
L'évolution du cadre législatif lié à la notion de participation est-il favorable à sa mise en oeuvre sur le terrain ? Et si oui, comment aller plus loin ?
Depuis le début des années 2000, un chemin important a été parcouru. Les outils imposés par le législateur sont en général mis en œuvre, tel le Conseil de la Vie Sociale. De nombreux textes ont amplifié le changement. Pourtant, il existe encore un écart important entre le principe de la participation des « usagers » et la pratique, soit parce que la participation est limitée à une consultation formelle des personnes concernées, soit parce qu’elle pose des problèmes particuliers dans certains secteurs où les personnes ont une autonomie limitée, des capacités de compréhension réduites ou bien dépendent de décisions de justice.
Il convient aujourd’hui d’accentuer le mouvement par la participation et le développement du pouvoir d’agir en favorisant à la fois la participation aux tâches de la vie quotidienne, à l’organisation d’activités, à la vie des institutions et de la cité. Cette réflexion est au cœur des réflexions du Haut conseil du travail social.
Quels sont les freins à lever et les opportunités à saisir pour développer cette participation ?
Un des freins à la participation est le statut même d’« usager » quand il est associé à l’idée d’une dissymétrie inévitable et indépassable entre les professionnels et les personnes qu’ils accompagnent. Il existe au moins deux conditions pour faire avancer plus nettement la participation : d’abord un changement de regard vis-à-vis des « usagers », pour ne pas dire un changement dans les cultures professionnelles ; ensuite, cela suppose que les personnes accompagnées aient les moyens de comprendre ce qui se dit.
D’où l’importance de l’idée d’une langue simplifiée, permettant une traduction de textes et de propos techniques ou peu familiers aux personnes en difficulté. Cette langue « FALC » (Facile à lire et à comprendre ») se diffuse de plus en plus avec des guides d’utilisation élaborés par l’association « Nous aussi » à laquelle adhèrent des personnes en situation de handicap intellectuel. Des traductions ont été mises en place sous la forme de prestations assurées par des établissements et services d’aide par le travail. De son côté, le Conseil national des personnes accompagnées a produit lui aussi une version adaptée aux personnes plutôt concernées par la pauvreté et la précarité.
Quels sont les freins à lever et les opportunités à saisir pour développer cette participation ?
Un des freins à la participation est le statut même d’« usager » quand il est associé à l’idée d’une dissymétrie inévitable et indépassable entre les professionnels et les personnes qu’ils accompagnent. Il existe au moins deux conditions pour faire avancer plus nettement la participation : d’abord un changement de regard vis-à-vis des « usagers », pour ne pas dire un changement dans les cultures professionnelles ; ensuite, cela suppose que les personnes accompagnées aient les moyens de comprendre ce qui se dit.
D’où l’importance de l’idée d’une langue simplifiée, permettant une traduction de textes et de propos techniques ou peu familiers aux personnes en difficulté. Cette langue « FALC » (Facile à lire et à comprendre ») se diffuse de plus en plus. Il faut s’en saisir.
En pratique, quelles sont les conditions pour faciliter cette participation ?
- Dans toutes les réunions, faciliter la participation orale avec des outils adaptés ou une méthode, par exemple des cartons de couleurs (vert : pas de problème ; orange ou jaune : merci de parler moins vite ; rouge : stop !, je ne comprends pas) ; pour prévenir la peur du ridicule, il faut que tous les participants puissent s’en servir.
- Apporter les moyens logistiques pour une participation effective, le temps de construction collective en amont, l’accessibilité de l’information en amont et en aval, voire une rémunération si les personnes accompagnées interviennent comme formateurs.
Pour que la participation soit effective, il faut qu’elle soit anticipée, que tous les acteurs l’acceptent, qu’ils soient préparés, formés, aidés pour la réalisation de cet objectif devenu central.
Quelle est le rôle à jouer par chacun pour accélérer ce mouvement participatif et inclusif ?
La parution du décret du 6 mai 2017 a inscrit pour la première fois de son histoire une définition du travail social dans le code de l’action sociale et des familles. Ce texte, d’une grande nouveauté, indique que le travail social doit s’appuyer « sur des savoirs universitaires en sciences sociales et humaines, sur les savoirs pratiques et théoriques des professionnels du travail social et les savoirs issus de l’expérience des personnes bénéficiant d’un accompagnement social ». Ainsi, la participation n’est pas seulement organisationnelle : elle comporte une contribution par des savoirs propres, des apports en termes de connaissance, voire d’expertise.
Il existe donc désormais une base réglementaire qui va permettre d’aller beaucoup plus loin, en visant non seulement une réponse à des « besoins » objectivés chez des « bénéficiaires », mais la coopération des personnes directement concernées pour mieux répondre à leurs attentes et à leurs préoccupations.